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Inceste. L’horreur au foyer. Témoignages et constat juridique


6,7 millions de Français déclarent avoir été victimes d’inceste

L’inceste en France, un interdit civil mais pas pénal

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti souhaite fixer un seuil de non-consentement à 18 ans pour l’inceste.

Puni par le code pénal lorsqu’il est commis sur mineur, interdit par le code civil, l’inceste n’est à l’heure actuelle qu’une circonstance aggravante de crime sexuel devant la loi. À l’inverse d’autres pays occidentaux, il n’est pas réprimé dans le Code pénal dès lors que la relation a lieu entre deux majeurs consentants.

La déflagration de l’affaire Duhamel n’en finit pas de se faire sentir. Plus d’un mois après la publication du livre « La familia grande », dans lequel Camille Kouchner décrit des faits de viol incestueux commis par le constitutionnaliste Olivier Duhamel envers son beau-fils lorsque celui-ci était adolescent, les réactions politiques se succèdent au plus haut niveau de l’État.

Ce mardi 9 février, le gouvernement s’était dit « favorable » à ce que tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans constitue un crime. Ce dimanche 14 février, Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a affirmé sa volonté de fixer un seuil de non-consentement à 18 ans pour l’inceste.

À l’Assemblée, une proposition de loi, portée par la députée PS Isabelle Santiago, doit être examinée en ce sens ce jeudi 18 février. Elle propose d’instaurer un âge de non-consentement à 15 ans, et de le porter à 18 ans « lorsque l’auteur est un ascendant, ou une personne ayant, sur le mineur, une autorité de droit ou de fait. » Une manière de renforcer la législation actuelle sur l’inceste.

Puni par le Code pénal lorsqu’il est commis sur mineur, interdit par le Code civil, l’inceste n’est à l’heure actuelle qu’une circonstance aggravante de crime sexuel – viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles – devant la loi. À l’inverse d’autres pays occidentaux, comme le Canada ou encore la Grande-Bretagne, il n’est pas réprimé dans le Code pénal dès lors que la relation a lieu entre deux majeurs consentants.

L’INCESTE INTERDIT SOUS L’ANCIEN RÉGIME

Cela n’a pas toujours été le cas. Sous l’Ancien Régime, l’inceste est interdit. « Il s’agit alors d’un crime spécifique, puni en tant que tel », explique Marie Romero, sociologue, chercheure correspondante au Centre Norbert Elias, à Marseille. Lorsqu’il est public, comme le rappelait l’historienne spécialiste de l’inceste Fabienne Giuliani dans les colonnes de Libération en 2012, il est « considéré comme criminel », et peut entraîner une condamnation à mort. « Rendu public, c’est le scandale, la corruption de l’être humain, le risque de contagion à d’autres. Mais tant qu’il reste caché, non exposé, il ne dérange personne. D’ailleurs, dans les faits, il y a très peu de condamnations », rappelle l’historienne.

L’interdit est évincé avec la Révolution française. Dans le premier Code pénal de 1791, l’inceste n’apparaît pas, au même titre que le blasphème, la sodomie, la bestialité et le suicide, considérés comme des « crimes imaginaires » par les révolutionnaires. « Avec l’entrée en vigueur du droit laïcisé, on considère que l’inceste est un problème d’ordre moral », note Marie Romero.

ESCAMOTÉ À LA RÉVOLUTION

Le crime de viol est créé, mais l’inceste en tant que tel est décriminalisé. Il n’est alors plus sanctionné en tant que tel, y compris dans le cadre de relations de personnes majeures avec des mineurs. « À l’époque, l’inceste avait une empreinte religieuse très forte », poursuit-elle. Les révolutionnaires entendent effacer la notion de péché. « En ne le mentionnant pas dans le Code pénal, ils avaient en partie pour objectif de se libérer du joug de l’Église sur cette question. » Ce faisant, ils répondent aux demandes d’intellectuels qui, dès les Lumières, voient dans cet interdit la marque des contraintes de l’Ancien Régime. « En droit, l’inceste comme tel n’est pas punissable, seul le viol incestueux l’est », souligne l’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu dans un article pour la revue Esprit.

Certains interdits sont cependant établis. Une loi de 1792 proscrit le mariage entre ascendants et descendants en ligne directe, ou entre frère et sœur. Les cas d’incestes non consentis dépendent des infractions sexuelles de viols. En 1810, des circonstances aggravantes sont ajoutées pour les personnes ayant une autorité sur un mineur. « La législation va alors se renforcer note Marie Romero. La sanction de l’inceste existe, mais de façon indirecte dans le Code pénal dès 1832, où il devient une circonstance aggravante », qui peut envoyer au bagne jusqu’à perpétuité. Trente et un ans plus tard, en 1863, le consentement d’un mineur (jusqu’à 21 ans, âge de la majorité à l’époque) est jugé impossible face à un ascendant. Dans le même temps, concubins et beaux-pères peuvent aussi être considérés comme des parents incestueux, car ils exercent leur autorité sur les mineurs.

ENTRÉE DE L’ADJECTIF « INCESTUEUX » DANS LE CODE PÉNAL EN 2016

Cela restera inchangé jusqu’en 1994. Cette année-là a lieu une réforme du Code pénal toujours en vigueur à l’heure actuelle. Plusieurs modifications entrent dans la loi : l’agression sexuelle remplace l’attentat à la pudeur et le délit d’atteinte sexuelle sur mineur est instauré. Autre différence : le juge peut désormais estimer la capacité d’un enfant à accepter ou non une relation sexuelle, même avec l’un des membres de sa famille. Si le magistrat estime que le mineur est consentant, la qualification d’agression sexuelle ou de viol ne peut alors pas être retenue.

Il faut attendre 2016 pour que la qualification d' »incestueux » entre dans le Code pénal. « Le crime est aggravé lorsqu’il est commis par des ascendants » devient « le viol est réputé incestueux lorsqu’il est commis par les membres du cercle familial ». Une manière pour les magistrats de mieux estimer le nombre de ces crimes, expliquait Fabienne Giuliani à France Culture : « Ce retour du mot dans le Code pénal de 2016 permet aux chercheurs de compter ces faits. Alors qu’auparavant, ces infractions sexuelles n’étaient pas distinctes des viols commis sur des mineurs par des instituteurs, des membres du clergé, des personnes ayant autorité. La philosophie n’est pas changée mais le phénomène est rendu plus visible. »

UN INTERDIT « MORAL »

Depuis, rien n’a bougé. Actuellement, en France, « l’inceste n’est pas une infraction pénale spécifique », rappelle Adeline Gouttenoire, professeure de droit à l’Université Montesquieu Bordeaux IV et présidente de l’observatoire départemental de la Protection de l’Enfance de Gironde.

« Ce qui l’est, c’est abuser sexuellement d’un mineur, le tout étant aggravé quand le majeur a un ascendant, de droit ou de fait, sur ce dernier », poursuit-elle.

Un viol incestueux est ainsi puni, au maximum, de vingt ans de réclusion criminelle. Interdit « moral », l’inceste est cependant régi par le Code civil.

« On ne peut pas se marier avec son père ou sa sœur, remarque Adeline Gouttenoire. L’enfant d’un père et de sa fille n’aura pas la filiation des deux personnes d’une même famille. Mais rien n’est interdit dans le Code pénal : pour des personnes majeures, notre pays considère qu’il s’agit de la liberté de chacun. »

Avec cette législation, la France se distingue d’autres pays occidentaux, à l’exemple de la Grande-Bretagne, et de l’Allemagne, ou encore des États-Unis, qui ont choisi de pénaliser l’inceste, même entre deux adultes consentants.

Outre-Rhin, le Code pénal datant de 1871 punit de deux ans de prison ou d’une amende les rapports sexuels intrafamiliaux, par exemple entre un frère et une sœur majeure.

« Le Canada a créé un interdit spécifique, où on ne va pas chercher à savoir si le mineur est consentant. Comme au Royaume-Uni, il est, de plus, imprescriptible », note Marie Romero. En Italie, l’inceste est aussi pénalisé, mais de manière moins claire, seulement dans les cas où il entraîne un « scandale public ».

« Dans les pays latins, le désir de séparer le Code pénal et la religion peut expliquer cette volonté de ne pas pénaliser l’inceste entre deux majeurs analyse Marie Romero. La mentalité patriarcale plus forte dans ces régions, où le droit pénal ne doit pas s’immiscer dans le foyer domestique, aussi. »

Des circonstances qui évoluent.

« Longtemps la victime a été entachée d’une faute, considérée comme en partie responsable de ce qui lui était arrivé. Le législateur a voulu sortir de la prégnance du péché et il est allé tellement loin qu’il en a fait essentiellement un problème d’ordre moral résume la chercheuse. Mais concernant la question spécifique des mineurs, le droit y revient peu à peu, au fur et à mesure des évolutions de la société. »

Source

96% des cas d’inceste commis par des hommes

Inceste, l’épreuve de la parole. Le Témoignage Glaçant des Victimes

Un reportage de Laurence Gemperle et Frank Preiswerk (video ci-dessus)

Depuis le début de cette année, la France est ébranlée par un courant puissant de dénonciation de l’inceste, dans le fil du mouvement MeToo. Le livre de Camille Kouchner, La Familia Grande, dans lequel elle dénonce des abus sexuels contre son frère jumeau, commis par son beau-père le politologue Olivier Duhamel, a libéré la parole. Immense personnalité intellectuelle, Duhamel a reconnu les faits et l’instruction suit son cours.

En Suisse romande également, vous allez le voir, les victimes d’inceste dans leur enfance osent enfin parler. Dans le reportage que nous vous proposons, signé Laurence Gemperle et Frank Preiswerk, vous allez entendre le témoignage de Sarah Briguet, ex-miss suisse, et elle-même victime des abus sexuels de son père dès l’âge de 7 ans. Pour la première fois, d’autres femmes ont accepté de témoigner devant notre caméra. Certaines sont très jeunes, comme Claire, 16 ans, ou Chloé 22 ans. Pour autant, chez nos témoins plus âgés, Marie et Michèle, la marque de l’inceste est indélébile et elle a imprimé un traumatisme qu’une vie ne suffit pas à effacer.

L’inceste « ça vous tue et il faut qu’on vive », dit une des femmes qui s’est confiée à notre équipe. La dépression, le suicide, sont à tous les carrefours des victimes de l’inceste. La clé, la seule clé pour s’en sortir, c’est la libération de la parole, de ce secret si lourd à porter et qui ronge de l’intérieur. Mais vous allez le comprendre, parler de l’inceste, faire sortir la souffrance et la rage intérieure, dénoncer ses parents en justice, c’est un effort parfois insurmontable.

Un mot encore sur la procédure judiciaire entamée par Sarah Briguet contre son père, pour des abus sexuels commis dans son entourage. La décision vient de tomber il y a quelques jours : il a été reconnu coupable par le Ministère public valaisan d’actes sexuels avec des enfants et condamné à 180 jours de prison avec un sursis de trois ans. Le jugement sera exécutoire d’ici demain (28.05.2021), date limite pour le dépôt d’un recours.


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